On ne serait dire de prime abord à quel point l’ennui peut être un facteur indispensable au développement du génie. Cette capacité fondamentalement humaine qui marque notre différence avec la machine, entretient dans son assise la source même de son contraire : L’habitude. Celle-ci, à travers la répétition, sert à affiner et à préciser le geste.

Citer en tant que:  Nathalie PEGUERO: Réflexion à haute voix: « Le savoir-faire, l’automate en renfort du génie 2.6 » Coll. Lʼesprit d’Atlantide Ed. WordPress on line. 2013

Selon Bergson cette mémoire motrice qui est la routine, entretient la mémoire du corps. Elle génère ainsi un automatisme, une robotisation d’un certain savoir-faire. C’est ce savoir acquis par une assiduité redondante qui crée une démarcation du contenu de ce qui peut être déporté de l’Etre Humain moderne vers la machine.

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L’extraction de ce savoir rend visible le mécanisme automate. Cette exposition est le résultat d’un travail de codification enclenché par la routine. À travers cette programmation, et non apprentissage, qui permet d’effectuer les tâches et les gestes basiques, l’habitude marque la dimension Industrielle du savoir-faire puis transforme la machine en une manifestation de l’extension de l’Être.

L’usage des machines libère une fraction de la mémoire du corps. Ce nouvel espace affranchi dessine une sphère potentielle apte au développement de nouveaux savoir-faire. L’augmentation de l’industrialisation des gestes acquis, favorise l’exaltation des différents savoirs de l’être humain. Cette externalisation des automatismes (savoirs ignorés) permet également l’exécution plus rapide des tâches et des gestes primaires.

La simplification de l’acquisition de ce savoir se caractérise par le fait qu’il n’est plus nécessaire de tout apprendre : pas besoin de connaitre les gestes, pas besoin de connaitre la programmation, il suffit de comprendre comment activer la machine pour qu’elle exécute. En se débarrassant du facteur H la nouvelle société industrielle active les fondations d’une démocratisation du savoir-faire et consolide les bases de sa transmission à travers l’apprentissage d’une technique.

Ce nouveau savoir (ou plutôt ce nouveau produit, résultante du savoir-faire) est désormais exposé et non plus ignoré, ce qui lui permet d’être enseigné à travers des filtres d’exécutions. Cet enseignement se veut garant de pérennité d’un modèle sociétaire. Ce processus ne va pas sans risques : le danger le plus important comporte la perte de savoir-faire.

L’exigence de performance oblige l’automatisme à se rabattre dans une kyrielle de calques codifiés qui s’imbriquent de manière de plus en plus élaborés. Cette complexité ascendante transforme la machine en une source sensible et indispensable à l’acquisition des compétences. Son caractère critique impose une complexification accrue du mécanisme de sécurité qui oblige l’apparition de nouvelles expertises. La sauvegarde de l’automate devient indispensable car la destruction de la machine comporte la perte du savoir-faire dont elle est devenue la gardienne.

Ce risque engendre une dépendance entre l’Etre Humain et les Machines qui conditionnent la réalisation de gestes de base. Développer de nouveaux savoirs implique un joug industriel aux mécanismes artificiels qui sont devenus l’assise du savoir-faire fondamental.

Cette stratification en château de carte met en évidence le troisième niveau de risque : l’effondrement sociétaire. La perte de la dimension Industrielle (mécanique, électronique ou digitale) qui sert de socle à la construction d’une société comporte non seulement la perte du savoir-faire qui a été isolé de l’Humain mais également de l’organisation qui en décline. Cependant
en extirpant « la machine » de l’Être celui-ci peut être plus Humain et se concentrer sur le développement de l’autre dimension du Savoir-Faire où réside l’espoir non seulement de continuité mais d’élévation : son génie.

À travers sa sensibilité intuitive, le génie sert d’accélérateur dans la maitrise du geste (manuel ou mécanique). En tant que substance artistique du savoir-faire, le génie reste non transmissible par un mécanisme d’exposition (d’apprentissage). Il peut être bridé ou desinhibé; il peut être frustré ou hypersensible; il peut être exposé à travers un résultat, une création ou un produit mais il ne peut être enseigné.

La dimension industrielle libère la dimension artistique et lui permet d’évoluer haut delà de la simple maitrise du geste vers le dépassement de ses limites. « On dit d’une œuvre parfaitement
réussie qu’elle relève du génie. (…) Le génie c’est la légèreté, la facilité (…) la spontanéité (…) Il est libre de toute contrainte. » (citation de Philosophie et Spiritualité : la création artistique.) « Votre art est l’expression du regard posé pour la première fois sur le monde, l’enthousiasme de la vie et de la liberté ».

Contrairement à Kant nous ne contraindrons pas le Talent à l’habitude (application bien maîtrisée des règles de l’art, obtenu avec un travail souvent laborieux) mais au mariage de celle-ci avec le génie. Ce sera le degré de génie qui établira l’enthousiasme et l’éblouissement que ressentira l’Etre Humain face à l’oeuvre, c’est à dire cette capacité de transgresser l’ordre établi pour le dépasser, le reformuler et le proposer comme nouvelle réalité. Le Génie est par définition objet de sublimation. Sublime, voire sinistre (concepts de Walter Benjamin, école de Frankfurt), il n’a pas de limites donc pas de morale, ni de notion
de bien ou de mal. Il se situe au-dessus de ces notions.

Selon Kant : « Le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par laquelle la nature donne les règles à l’art » (Critique de la faculté de juger, Section I, livre II, §46, p138). En décrivant ses propres règles le génie repousse les notions de bien et de mal.

Il réorganise le monde avec une logique qui lui est propre. Le caractère inné du Génie soulevé par Kant attire l’attention sur son origine et donc de sa transmission. En tant que fournisseur de règles le génie n’a pas comme mode d’expression l’imitation mais l’originalité (l’oeuvre singulière et unique). Il ne peut donc être transmis par l’enseignement. Si la dimension héréditaire reste discutable, les travaux de recherche en neuropsychiatre menés par Roger Vigouroux renforcent la notion kantienne du génie inné. Le produit est donc marqué par le talent qui en fait un objet-recueil de savoirs et de mémoire. Ceci lui confère son caractère de produit de luxe (notion anthropologique et non commercial) à la trace ainsi déposée pendant l’acte de création, devenant le témoin du passage de l’intime au collectif. Du savoir-faire, savoir ignoré qui se développe dans l’espace privé au produit emblème du savoir exposé qui s’exprime dans l’espace public. L’acquisition de cette Visibilité induit une Prise de Conscience.

Celle-ci révèle les préférences des individus, voire leur revendication mémorielle et identitaire. Si l’acte de création qui définit l’oeuvre comme un
produit de luxe (héréditaire d’une empreinte chargée de singularité), suscite autant la Reconnaissance que l’Admiration, alors la Sublimation de celle-ci rend possible son existence en tant que « produit fini » tout en garantissant de sa longévité.

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La mécanisation du savoir-faire se veut source d’émancipation pour facteur humain. Et si l’affranchissement de l’Être n’est guère si évidente au quotidien, il arrive que le génie se trahisse comme étant un apport significatif de la construction sociétaire. Il suscite alors une profondeur de champs sémantique qui permet de remplir la structure automate de sens et ainsi ré-injecter l’équilibre dans une communauté, une culture, voire une civilisation.

@Regards de Femme// L’esprit d’Atlantide
np©nathalie.peguero 04/11/2013